TENTATIVES DE SE DÉCRIRE




Filmé en 16 mm - couleur
Durée: 165 minutes
5 bobines
24 images / seconde
Fiction autobiographique

version originale française
sous titres anglais
Beta numérique

scénario, réalisation et production: Boris Lehman
image: Guy Borremans, Jacques Leduc, Antoine-Marie Meert
son: Henri Morelle, Pierre Bertrand, Jacques Dapoz
montage: Daniel De Valck, Ariane Mellet
mixage: Antoine Guében

apparitions de Nathalie André, Christian Boltanski, Roman Opalka, Johan van der Keuken, Gérard Courant, John Cage, Mirèze Aerts, Jean et Serge Gagné, Armand Vaillancourt, Loïs Siegel, Luc Courchèsnes, Robert Daudelin, Marie Chouinard, Pierre Hébert, Jozef Robakowski, Rachel Fajersztajn, Evgen Bavcar, Gilles Groulx, Cécile Zervudacki...

coproduction: belgo-franco-canadienne

DOVFILM (Bruxelles)
MAINFILM (Canada)
COCAGNE (Canada)

avec l'aide du Centre Audiovisuel à Bruxelles (CBA) du Centre du Cinéma de la Communauté française de Belgique et des télédistributeurs wallons, de la Loterie Nationale et de la Commission Communautaire Française de la région de Bruxelles-Capitale

synopsis

Faire le tour de soi
inlassablement
impossible évidemment
mais que faire d'autre

Je reviens sur moi-même
comme dans un rêve nostalgique
filmer chaque fois ce qui n'est déjà plus
ce qui est mort en moi
le passé déjà
et l'ombre de moi-même

Je filme encore
pour dire que je filme
non tant ce que j'ai oublié de filmer
mais ce qui n'était pas encore

Tentatives de se décrire serait un film sur la représentation. Comment on peut, par le truchement du cinéma, se décrire et décrire l'autre. La caméra comme miroir et comme troisième œil. Au départ, un film épistolaire, une enquête et un voyage conçu comme un collage, entre documentaire et fiction. A l'arrivée un portrait de Boris Lehman entre 1989 et 1995, suite II de BABEL.



"La caméra me permet de concrétiser mon désir de voir" (Johan van der Keuken)

Tentatives de te m'écrire

Tentatives de traduire.
Où vais-je ranger tes lettres, Boris? Les changements d'adresses, tu les connais. Traduire cela, c'est faire le film de ta vie. Quel plan faut-il tourner pour cerner le contenu de ces lettres? Traduire. Silence. En ces lieux connus, repérables, tu nous fais voir et savoir ce qu'il y a d'inconnu dans la relation de l'image (la chose et son objet) à l'être qui se déplace (le verbe et son sujet).
Traduire, donc. Déplacer les mots. Les paroles. Les sons. Les images. C'est cela: tu filmes le verbe en son propre déplacement. Ton cinéma, c'est ton verbe en déplacement.
Traduire. Ce que traduit ton corps, c'est le mouvement secret de ton image transportée, ta recherche du transport, du déplacement amoureux (de l'art, de ce qui se crée en nous), "transportation" (il n'y a pas de mot, en aucune langue, pour signifier cela, si ce n'est dans l'expression française "être transporté") de l'homme en sa propre disparition annoncée.
Traduire.
Tenter de traduire Boris Lehman en Boris Lehman, quel procès ! Silence. Les anecdotes (Bruxelles, Montréal, Bruxelles et encore; le futur présent du passé, ce "conditionnel du subjectif") et tous les lieux (les états de l'être) où l'on sait ne pas être (ce n'est pas la question) font littéralement (mais le poème Lehmanien est précisément en ce lieu même du littéral devenu poème) antidote à ce qui s'oppose au vivant, à ce qui troue (la mémoire), à ce qui fuit: la présence. Comme ces images fulgurantes d'un silence de John Cage. Comme ce souffle incandescent et discret d'un magnétophone Nagra Kudelski. Ainsi, tes "tentatives de me / te / se décrire" forment-elles la concrète réponse à tout ce qui s'en va. A tout ce qui se traduit de l'intraduisible. Où vais-je ranger tes lettres, Boris ? Dans mes tentatives de t'écrire.

Jacques Dapoz




A propos de "Tentatives de se décrire", un film de Boris Lehman

Ce qui dans la peau de Boris Lehman est pellicule de mémoire et d'avancer encore.

Au coeur de toute oeuvre, on trouve les multiples tentatives de se décrire.
On y met l'essentiel d'une vie. Danse sacrée, nudité, dépassement du silence et silence du dépassement, dévoilement de ses propres entrailles. Acte vital de présentation de soi au travers de la présentation des autres, ego défait de tous les egos, invitation aux mystères et au sacre de l'humain représenté.
La peau? La pensée? Travailler? Faire un film? Boris Lehman n'y va pas par quatre chemins. Il y va par tous ses chemins, ses innombrables voyages vers lui-même, ses rencontres décisives, ses angoisses magnifiques, pellicule maîtrisée questionnant sa propre matière première.
Peau. Pensée. Pores. Apories. Travail. Tentatives. Trouer toutes les tentatives et s'y (re)trouver. Tous les avatars de l'oeuvre sont ici présents. Les reflets indicibles du regard concret et abstrait ouvrent sur l'image en creux, sur le dépouillement troublant de ce qui unit l'un et l'autre, l'absence et la présence, peau et pensée. Pellicule de mémoire.
On se demande ce qui "fonctionne", ici, (rien et tout, tout et rien, nous par hasard dans l'histoire), en ce cinéma de la recherche, enfin, de l'art d'être dans l'histoire, de l'art d'être soi, seul et jamais seul. Grand voyage. Sublimation. Seulement "être" est la seule chose qui fonctionne, ici, réflexion au sens propre comme au figuré, de ce qui (se) fait réflexion, de ce qui se (dé)livre, de ce qui traverse vivant les écrans de fumée.
Les images et les sons? Les figures? Les métaphores, métamorphoses, métarythmes d'existence en la partition quasi symphonique - symbolique - du déplacement de soi vers soi, de soi vers l'autre, de l'autre en soi.
Cinéma? Plus encore. Cinégraphie comme une essence de radiographie, au-delà de toutes les apparences.
Ainsi, le passage, le passager au travail cristallise, reconsidère ensuite l'état de fusion pour enfin nous conduire à l'état multiple; fixation de l'état d'impermanence en sa trace filmique, en avant, en sa tentative de permanence toujours défaite et refaite, eu égard le temps, l'espace, les énergies transportées et transposées.
Transe.
Les apparences de Boris Lehman questionnent les apparences et toutes les questions ne sont que regards posés. Voici de l'art: un transport de l'être en sa propre déportation de matière, en sa propre déportation d'amour, manière d'être, matière d'être. Bouts de pellicule. Bouts de son. Collages sans colle. Sans bout à bout. En oeuvre.
Au cours de l'oeuvre.
Au coeur de l'oeuvre.
Merci, Boris Lehman, pour ces innombrables leçons de vie.
Ba, be, Babel.

Jacques Dapoz



Texte intégral et photogrammes

Textes inédits de Léopold Blum, Jacques Dapoz, Karine de Villers, Patrick Leboutte, Eugène Savitzkaya, Christiane Tremblay



TENTATIVES DE SE DECRIRE, c’est à la fois un processus de cinéma en continu, un voyage poétique, et une transformation du monde sur le champ, a fresco. Ce qui compte, c’est  le travail en cours, c’est le voyage,  il n’y a pas de repos possible, il n’y a pas de terre promise chez Boris Lehman. Son territoire, c’est le processus cinématographique lui-même, et pas le film prémédité: pas de clôture, il nous embarque au-delà des frontières, de toutes les frontières.

Avec ce dernier film, on pourrait presque dire ce dernier épisode, Boris nous entraîne dans une drôle d’aventure aux confins de notre humanité; rarement nous aurons été aussi loin, aussi près de nous-mêmes. Voilà un film vertigineux, d’où le sens jaillit à profusion comme à la source de Jouvence, qui procède par mises en abyme,  aux formes variables à chaque tour de roue, nous conviant à un festin du corps et de l’esprit, et nous laissant pantois de visions savamment avivées.

Là nous quittons radicalement l’autoportrait aux complaisances narcissiques et anecdotes existentielles de portée domestique. Pour aller circuler dans une sorte de métaphysique poétique (n’ayons pas peur des mots quand ils trouvent leur place), dans une «réflexion systématique qui se propose, après une analyse critique, de dégager  les bases de toute activité humaine», comme dit le Robert. Ici, de l’activité cinématographique en particulier, sous la forme apparente de l’autoportrait.

Magistrale leçon de cinéma.

 Marie-Claude Treilhou





TRYING TO DESCRIBE ONESELF

To keep on and on
going round oneself -
clearly impossible
but what else to do?

I come back to myself
as in a nostalgic dream
each time filming what no longer exists
what has died in me
already the past
and shadow of myself

I keep in filming
again and again
to declare that I film
not what I forgot to include
but what didn't yet exist

Trying to describe oneself will be a movie about representation. How it is possible, through film, to describe oneself and describe others. With the camera as mirror and third eye. At first, a collage-like combination of letter-writing, investigation and journey, something between documentary and feature film. Finally, a portrait of Boris Lehman from 1989 to 1995, part II of BABEL.

"The camera gives concrete expression to my desire to see" (Johan van der Keuken)