MES ENTRETIENS FILMÉS




Image: Antoine-Marie Meert, Rachel Simoni, Jean-Marc Vervoort
Son: Bernard Declercq, Denys Desjardins, Éric Dumont, Yvan Petit, Luc Remy, Jacques Dapoz
Montage: Daniel De Valck, Ariane Mellet, Juliette Achard
Mixage :  Antoine Guében (Dynascope) Simon Apostolou (Le Fresnoy)
Production et réalisation: Boris Lehman
Remerciements à André Colinet, Ginette Lavigne, Gérald Collas, Michael Novy, Guy Jungblut, Théophile Gay-Mazas, au Centre Pompidou, au Cinéma du Réel à Paris
Avec l'aide du Centre de l'Audiovisuel à Bruxelles
et du ministère de la Communauté française de Belgique.

Ce film a bénéficié de l’aide du Centre de l’audiovisuel à Bruxelles (CBA), du ministère de la Communauté française, du Centre du cinéma et de l’audiovisuel de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de VOO, de la Cellule de rééducation idéologique, du Studio national des arts contemporains Le Fresnoy, du Forum International du jeune cinéma (Berlinale)

Tourné en 16 mm - couleur- 125 minutes - 24 images-seconde
Numérisé en 2012

Versions française, anglaise, allemande
Coffret DVD en préparation chez Re:Voir

Belgique 1995-2012.

 

J’ai commencé Mes entretiens filmés en 1995 au moment où je voulais arrêter de faire du cinéma. Cela m’a pris presque dix-huit ans pour l’achever!

Mes entretiens filmés se présentent comme une somme, comme un bilan. C’est un peu mon art poétique, et, si on veut, une leçon de cinéma.

On peut le voir comme un manifeste du cinéma indépendant, d’un cinéma libéré des contraintes financières et professionnelles, ou comme une introduction à l’œuvre filmée de Boris Lehman, ou encore comme une preuve d’amitié et un acte de fidélité envers des proches.

Ce ne sont pas des interviews au sens strict du mot, c’est un film composé de petites conversations qui toutes sont mises en scène. On y parle de cinéma, bien évidemment mais on y voit  surtout comment le cinéma de Boris Lehman se conjugue et se construit sous nos yeux. Quelque chose qui tient du premier jet, de l’oeuvre brute et spontanée, car rien n’est préparé, c’est toujours fait au hasard des rencontres et des opportunités de tournage. Et donc, il y a bien des bredouillages, des hésitations, des redites, des moments qui peuvent apparaître ennuyeux, je n’ai pas voulu enlever ça, nettoyer comme on dit dans le jargon du cinéma, ces scories font partie de l’œuvre. Il s’agit, comme le dit à un moment Patrick Leboutte, d’une pensée en marche, d’une pensée en train de se constituer.

En définitive, ce serait un film sur l’art d’être ensemble. Une galerie de portraits qui dessinent en filigrane et en miroir un autoportrait.

Jusque maintenant, Mes entretiens filmés sont composés de trois chapitres.

Le premier, qui date de 1995, regroupe quinze entretiens et est illustré  de six extraits de films. Le deuxième est composé de dix-sept entretiens réalisés entre 1995 et 1998 (+ sept extraits). Le troisième court de 1998 à 2010 et contient treize entretiens (+ cinq extraits).

Chapitre I : 125 minutes

Dimitri De Clercq, réalisateur /// Luc Rémy, régisseur de théâtre /// Henri Storck, cinéaste /// Philippe Simon, libraire /// Jean-Marie Buchet, professeur de cinéma /// Serge Meurant, poète /// Daniel Fano, journaliste, poète /// Patrick  Leboutte, critique de cinéma /// François Albera, historien de cinéma /// Fabrice Revault d’Allonnes, écrivain de cinéma /// Dominique Noguez, écrivain /// Dominique Païni, directeur de la Cinémathèque française /// Patrick Leboutte, à Dunkerque /// Jean-Pierre Gorin, réalisateur /// Boris Lehman, dans le bain

Chapitre II : 153 minutes

Jean Rouch, ethnologue, cinéaste /// Saguenail Abramovici, cinéaste /// Regina Guimarães, poétesse /// Rachel Fajersztajn, psychalalyste /// Naum Kleiman, directeur du Musei Kino de Moscou /// Freddy Buache, directeur de la Cinémathèque de Lausanne /// Jonas Mekas, directeur de l’Anthology Film Archives /// Ulrich Gregor, directeur du Forum du jeune cinéma de Berlin /// Fançoise Lebrun, actrice /// Robert Kramer, cinéaste /// Stephen Dwoskin, cinéaste /// Noël Godin, entarteur /// Antoine-Marie Meert, directeur de la photo /// Daniel De Valck, monteur /// Claudia von  Alemann, cinéaste /// Nadine Wandel, cantatrice /// Boris s’enroule de pellicule

Chapitre III : 126 minutes

Inbal et Natalie Yalon, comédiennes /// Robert Daudelin, directeur de la Cinémathèque québecoise /// Serge Ouaknine, professeur de théâtre /// Micha Iampolski, professeur de littérature comparée /// Jean Rouch, cinéaste /// René Vautier, cinéaste /// Marcel  Hanoun, cinéaste /// Gérard Courant, cinéaste /// David Perlov, professeur, cinéaste /// Meriam Kerkour, plasticienne /// Charlotte Grégoire, cinéaste /// Frédérique Devillers, cinéaste /// Catherine Libert, cinéaste /// Stefanie Bodien, programmatrice /// Marie- Puck Broodthaers, galeriste /// Yaël André, cinéaste /// Nadine Wandel, cantatrice



I began My Conversations on Film in 1995 at the moment I decided I wanted to stop making films. This has taken me nearly eighteen years to do! 

 My Conversations on Film  act as a whole, as a balance. It's kind of my poetic art, and if you will, a lesson in cinema. My Conversations on Film  can be seen as a manifesto of independent cinema, a cinema free from financial and professional stress, an introduction to the work filmed by Boris Lehman, or as evidence of friendship and loyalty to those close to me. These are not interviews in the strictest sense of the word, but rather, this is a film composed of small conversations that are all part of the mise en scène.  The film talks about movies, naturally, but mostly explores how the cinema of Boris Lehman builds and unfolds before our eyes. It is a raw and spontaneous work, seemingly a kind of first draft, because nothing is prepared, but rather, presents chance encounters and opportunities to film. Therefore, there are many hesitations, repetitions, moments that may appear boring, but which I did not wish to remove or “clean up”, as they say in the jargon of cinema, because such moments are part of the work. The film is, as Patrick Leboutte once said, a thought in the middle of being formed.

Ultimately, this film is about the art of being together. It is a gallery of portraits interwoven with the watermark of the self-portrait.

My Conversations on Film are composed of three chapters.

The first, from 1995, includes fifteen interviews and is accompanied with six movie clips. The second is composed of seventeen interviews conducted between 1995 and 1998 (+ seven extracts). The third covers from 1998 to 2010 and contains thirteen interviews (+ five extracts).



À propos de Mes entretiens filmés (chapitre I)

Je ne voulais plus faire de film, plus exactement, je voulais ne plus faire de film, en finir une fois pour toutes. Et pour dire cela, j'avais besoin d'en faire un, je ne pouvais le dire qu'en en faisant. Après Leçon de vie (terminé en 1995), que je considère comme mon « dernier film », mon « testament cinématographique », j’ai beaucoup filmé, cueillant, collectionnant jour après jour, semaine après semaine, images et sons, fragments de journal, archives personnelles et privées, idées et propositions de films. Depuis bientôt dix ans, j'avais commencé ces séries infinies (à l’instar des Cinématons de Gérard Courant), autour de titres et de thèmes générateurs: Onomatopées, le Langage de l'éventail, l’Amour en fleurs, Je suis fier d'être belge, Tentatives de se décrire, Confessions, Aide-mémoire, la Division de mon temps, Savoir compter jusqu’à cent, Homme portant son film le plus lourd, Mes voyages... Mes entretiens filmés font partie de ces séries. Ils ont été commencés en avril 1995. On peut les monter, les diviser en chapitres et les proposer au public (tout comme je l’avais commencé avec Babel, mon journal filmé). Le premier chapitre comporte quinze entretiens et six extraits de films. Dix-neuf autres entretiens ont déjà été filmés (entre septembre 1995 et février 1998) qui composeront le deuxième chapitre. Curieuse aventure que celle de Mes entretiens filmés. Commencé comme un gag, une fantaisie, un canular ou un simple pastiche, continué de façon un peu trop sérieuse, et fini dans l'insouciance rigolarde, il est presque devenu, malgré lui, un film. On peut le voir comme un manifeste du cinéma indépendant et artisanal, d'un cinéma libre des contraintes financières et professionnelles, ou comme une introduction à l’œuvre filmée de Boris Lehman, ou encore comme une preuve d'amitié et un acte de fidélité envers des proches. On y parle de cinéma, bien sûr, mais on y voit surtout comment le cinéma de Boris Lehman se conjugue et se construit, devant nos yeux. Au départ le film n'était qu'un pastiche, ou une critique des entretiens de cinéastes, notamment de la célèbre série «Cinéastes de notre temps» conçue par Labarthe et Bazin. En fin de parcours, on constatera que l’entretien n'était qu’un prétexte, et qu’un film imprévu a pris forme presque sans s'en rendre compte.





Le film est « illustré » par quelques extraits de films réalisés par Boris Lehman: Pénitents à Furnes (1995) - Babel /Lettre à mes amis restés en Belgique (1983-1989) - Portrait du peintre dans son atelier (1985) - Leçon de vie (1991) - Magnum Begynasium Bruxellense ( 1976) Ne pas stagner ( 1972).




chapitres II et III quelques notes d'avant.

Objet unique dans les annales cinématographiques, Mes Entretiens filmés se présente comme une vaste collection d'entretiens récoltés de par le monde avec des artistes, des critiques et des historiens, des directeurs de cinémathèques, des amis,... autour du cinéma de Boris Lehman certes, mais surtout autour de l'art en général (et du rapport de l'art avec la vie). Beaucoup d'artistes et personnalités belges et étrangers ont été filmés, d'autres doivent l'être encore. Une centaine d'entretiens est prévue, qui totaliseront au final, après montage, près de 20 heures de film (soit 6 chapitres).

Une centaine d'entretiens ont déjà été récoltés de par le monde, notamment à Berlin, à Paris, à Moscou, à Budapest, à Montréal, à New York, , à Madrid, à Jérusalem et à Bruxelles, totalisant près de 2O heures de projection.

Outre les personnalités déjà mentionnées (V. filmographie: Mes Entretiens filmés) voici quelques noms contactés;

1.Herz Frank (cinéaste letton)
2.Jean-Pierre Beauviala (inventeur de la caméra Aaton)
3.Jean-Marie Straub (cinéaste)
4.Adriano Apra (directeur de la cinémathèque de Rome, directeur du festival de Pesaro))
5.Philippe Boesmans (compositeur belge)
6.Steeve Dwoskin (cinéaste américain)
7.Peter Kubelka (cinéaste autrichien, directeur de la cinémathèque de Vienne)
8.Joseph Morder (cinéaste français)
9.René Vautier (cinéaste français)

Aujourd'hui, 3 chapitres peuvent être envisagés. Les deux premiers étant en grande partie tournés, un troisième doit venir le compléter qui s'attachera à filmer quelques entretiens prévus et non réalisés (Philippe Boesmans, compositeur belge; Chantal Akerman, cinéaste belge; Robert Daudelin, directeur de la cinémathèque québécoise; Johan Van der Keuken, cinéaste hollandais; Armand Gatti, homme de théâtre français; Michael Iampolski, professeur de littérature comparée à l'université de New York, Jean-Pierre Beauviala, inventeur de la caméra Aaton, Stéphane Kudelski, inventeur du Nagra..) mais également à interroger quelques femmes enceintes à propos de leur grossesse et aussi des toxicomanes sur leur difficulté d'arrêter de consommer de la drogue.

Ainsi ces entretiens reviendront-ils vers le cinéma après un détour obligé hors du cinéma, en apparence, mais dans la vie, et déboucheront sur l'Histoire, la liberté d'expression, la technique et l'argent, la fragilité et la pérennité des
œuvres, sur leur inscription dans notre temps.

Afin de ne pas tomber dans la routine, il me faudra 2 à 3 années pour aborder les 3 derniers chapitres avec de nouvelles questions et un regard neuf.

A peine le chapitre I des Entretiens est-il terminé que le deuxième chapitre se met en place.

Le chapitre II n'est pas exactement la suite du chapitre I, il met en place un nouveau dispositif, une voix off , qui pourra introduire et corriger les entretiens.

On n'arrête pas si facilement un incendie ou une tempête ni le cours de l'histoire. Et donc ça continue (qu'on le veuille ou non)

Extrait de King Kong: le Gorille se défait de ses chaînes.
Autre extrait (Samson et Dalila):Samson écarte les piliers du temple.

Archives: d'actualité: incendie et pompiers, tempête à la mer du Nord, lierre ou mauvaise herbe dans un terrain vague.

QU'EST-CE QUE JE FILME ET COMMENT JE M'Y PRENDS?

Quel sens cela a -t-il pour moi et pour vous qui regardez?

C'est là peut-être le propos de ces entretiens, les questions que je me pose depuis toujours, mais que doit se poser inévitablement tout artiste.

Parler, écouter, échanger des mots et des images, et les faire partager, cela avant que mon œil perdre sa capacité de voir.

Des entretiens donc. Des conversations plutôt que des interviews.
Un bilan, un manifeste. Une mise au point.

A la recherche de ses idées perdues.

Filmer ces entretiens plutôt que de les publier, car ici la parole est mise en scène, elle permet de faire taire les commentaires. Elle confronte les images et les sons, la théorie avec la pratique. Elle se construit comme un film. Et c'est en filmant que les idées me viennent, que la langue s'invente, que se reformulent les questions auxquelles on n'a jamais pu (ou voulu) répondre.

Ce qui avait commencé comme un jeu est devenu "sérieux comme un film", mais en même temps, un film qui ne veut pas se prendre au sérieux.

Les entretiens ne sont pas séparés. Un lien se tisse entre les différents protagonistes, qui fait avancer le récit, comme dans une fiction.

La relation amicale que noue le réalisateur avec les personnes interrogées, tantôt amis proches, tantôt artistes, historiens, psychanalystes, connaissant bien l'oeuvre du cinéaste, est à l'origine du choix de ne pas avoir recours à des critiques et journalistes. Ici, au sens où l'entendait Montaigne, le cinéma recrée une famille. Chaque plan vaut aussi pour le bonheur d'être ensemble.

Le chapitre II des Entretiens est davantage centré sur les personnes qui travaillent avec moi (opérateur, ingénieur du on, monteur,etc...)

La non préparation (mais les choses de la vie vécue sont toujours prêtes, parce que vécues) .Une minute avant de tourner, de dire, on ne sait pas (personne ne sait) ce qu'on va dire, ce qui va être dit , on essaye de dire des choses intelligentes, et boum, le moteur est lancé, le clap est clappé, on dit tout autre chose, on est paralysé, on dit presque le contraire de ce qu'on pense,des banalités, des bêtises, des choses qu'on ne pense pas. On meuble le trac, le vide de la pensée.

Pourquoi ça tourne toujours comme ça?

Le film a besoin de cette mise en risque, de cette angoisse-là, indispensable pour ne pas tomber dans la routine et le discours tout fait.


Un chapitre III doit suivre , qui s'attachera à interroger des femmes à propos de leur grossesse, sur le mystère, l'attente et la révélation de l'accouchement, ainsi que des toxicomanes sur leur tentatives d'arrêter de fumer, de prendre de la drogue, leur cure de désintoxication. A mettre en parallèle bien évidemment avec la difficulté d'accoucher de l'oeuvre d'art, et l'autre difficulté d'arrêter.Ainsi ces entretiens reviendront-ils vers le cinéma par un biais totalement opposé en apparence, et déboucheront-ils sur une autre série, Mes Histoires de cinéma.


EXTRAITS DE FILMS ET ARCHIVES

Comme pour Entretiens I, des intertitres, ainsi que des extraits de films ( à tirer d'après internégatif) seront nécessaires et devront être insérés dans le montage à certains endroits, en fonction des questions et des réponses, afin d'éclairer, d'éclarcir, d'illustrer le propos.

1.Couple,Regards,Positions (1982) scène où Boris se coupe les cheveux / scène du chant de Nadine accompagné au piano par Boris/ scène de la prière juive, du chandelier, de la pomme, des petites tortures.

2.Babel: (1983-91): scène entre Nadine et Boris à propos des cheveux

3.Muet comme une carpe :(1987): scène inaugurale de la carpe dans la baignoire

4.L'Homme de Terre: (1989): scène de la femme enceinte qui embrasse la statue/ scène de l'enfant qui mord le nez de la statue/ scène où le visage de Boris est complètement recouvert de terre

5.Leçon de vie (1994): scène où on jette l'argent / la baignoire et la carpe/ le masque à gaz

6.Symphonie: (1979) scène dans le parc

7.Crystal-Box (1998) réalisation de Nadine Wandel

8.Jonas Mekas au Palais de Chaillot (1997) réalisation de Jonas Mekas

9. King Kong (1933) réalisation de Shoedsack et Cooper

10.Samson et Dalila (1949) réalisation de Cécil B.de Mille

11.Tempête à la mer du Nord: V. actualités ou film de Henri Storck

12.Incendie et pompiers: idem V.actualités.

=+=

L'ambition serait de pouvoir rassembler une centaine d'entretiens de personnalités diverses formant une somme de réflexions sur l'art du cinéma en particulier, mais aussi de l'art en général, et la vie. Des personnalités aussi bien belges qu'étrangères, proches et moins proches, intimes et officielles, qui , partant de leur expérience personnelle e de leur connaissance du travail  de Boris Lehman ouvrent le débat sur des questions fondamentales.

 =+=

Le film, c’est du présent conservé (c’est un peu une boîte à conserves)

Les morts ressuscitent.

Il s’agit probablement d’un autoportrait.

Un fil relie tous ces entretiens.

Malgré les digressions, les répétitions,les redites.

Un film qui tourne un peu sur place.

Qui revient, qui joue avec les répétitions, les variations.

Comme Schubert ou Schumann.

Un cinéma du réel qui introduit, accapare, englobe, engloutit tout ce qui se passe autour et alentour.

Le making of dans le film, le bonus est le film, le film est la fabrication même du film.
 

Mais là n’est pas l’essentiel.

C’est plutôt l’itinéraire d’une pensée en train de se construire.

Avec l’aide des autres.

Procédé socratique n’est il pas.

Léopold Blum

 =+=

 

Faire un film : faire un enfant .

Sortir de l’entretien.

Sortir du cinéma, je m’y suis essayé plusieurs fois

Sans jamais y parvenir

Dix huit ans plus tard

Serais-je capable de prendre la bonne décision ? la bonne direction ?

Entrer sortir

En sortir s’en sortir

En finir avec le cinéma.

Les excuses n’ont pas manqué: l’âge, la paresse, la fatigue, le manque d’argent, la sensation de n’être plus « en phase »

 Aujourd’hui le mot création doit prendre un autre sens .


un film sans titre

un film sans paradoxe

un film sans humour

un film sans préméditation

un film sans contrechamp

un film quand même

un film malgré tout

 un cinéma sans limite

 un cinéma sans  (inter)invention

 un cinéma sans fioriture

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Entretiens III

m’enlever le son

pour me faire taire

La vie d’un film est à peine plus longue que celle d’un homme.

Les images que vous allez voir ont été tournées entre septembre 1995 et mars 1998. Elles ont été manipulées pendant des années sur ma table de montage, ma bobineuse et mes projecteurs sans avoir subi aucune avarie particulière.
C’est seulement au moment de leur numérisation que les problèmes ont commencé.

Ce que vous allez voir est le résultat de ces malheureuses tortures infligées à la pellicule- mais c’est pareil pour le son avec les bandes magnétiques - la matière première  du cinéma. Un tribunal de l’audiovisuel devrait être mis en place ( instauré)   pour juger ces crimes de lèse-pellicule.

Nous savons que les supports sont fragiles, précaires et périssables.L’image a perdu aujourd’hui ses composantes physiques et chimiques. Elle est sans poids, sans odeur, sans consistance et sans poussière. On ne peut plus parler vraiment d’image ni de plan, mais d’un bombardement ininterrompu de points (ou de carrés)  lumineux  appelés pixels, qui nous emprisonnent dans une nouvelle façon de voir.

 L’auteur de ce film est contre la restauration. Il n’a pas eu le cœur d’effacer les taches, les griffes et les rayures, les traces de colles et de crayon, il n’a pas voulu nettoyer ni enlever les bruits de caméra.

Seuls quelques titres ont été remplacés .

Quoiqu’il en soit, Mes Entretiens filmés restent et resteront un film. Un film imparfait, maladroit. Un film quand même. Un film malgré tout.

 

MONUMENT DU CINÉMA à VENIR

(Fragments et balbutiements)

Je viens de voir les trois chapitres de Mes entretiens filmés du cinéaste Boris Lehman.

J’ai cru au départ qu’on pouvait le placer entre les Histoire(s) du cinéma de Jean-Luc Godard et Cinéastes de notre temps d’André S. Labarthe ­­ou L’Abécédaire de Gilles Deleuze de Pierre-André Boutang. Mais NON, c’est celui qui vient main­tenant, à brûle-pourpoint pour nommer à travers le verbe cinématographié d’un cinéaste hors du temps et celui de ses amis connus et inconnus, une pensée sur les forces futures du cinéma à venir, comme le surgissement d’une tradition, d’une chose qui n’est pas encore connue.

L’ART SANS COMMERCE

UN CINÉMA IMPARFAIT

SANS SCÉNARIO

SANS DÉBUT NI FIN

QUI NE SE LAISSE PAS SÉLECTIONNER

AVEC ENCORE BIEN D’AUTRES CHOSES QUI LE RATTACHENT AUX ÊTRES

Tout nous y mène et dans ces paradoxes nécessaires envers le cinéma.

La chose que l’on croit bien connue, va nous montrer ses côtés inconnus.

Par exemple, il est clair que Mes entretiens filmés tiennent un casting d’enfer de critiques et de cinéastes amis à qui le cinéaste demande de parler de son cinéma.

Mais la chose moins connue est qu’entre tien et mien (l’espace entre nous), il y a une mise en scène du cinéma qui vient, une mise en scène du cinéma à travers la recherche du contact initial : la rencontre et le dialogue amical.

Ce qui relie les hommes entre eux. ÊTRE AVEC.

à la différence de toute les interviews de cinéastes, ici s’entretenir comme répliquer, comme dialoguer est un travail de cinéma, de mise en scène, montrer que l’espace entre soi et lui ou elle est mythique, qu’il n’est ni documentaire, ni autobiographique : il est mythique.

Que cette collection d’images et de paroles crée un autoportrait du cinéma de l’étonnement entre soi et les autres.

C’est de cet espace que surgissent les performances filmées du cinéaste lui-même. Ses actions de l’étonnement.

Encore une chose connue qui est impliquée dans tout le cinéma de Boris Lehman et finalement inconnue dans l’histoire de la performance. Seulement là dans Mes entretiens filmés, on ne peut pas les louper, les bouder, les occulter, faire comme si elles n’étaient que des interludes. Elles sont autant de points de contacts, d’entrées ou de sorties du film pour l’expérience du spectateur, même quand elles prennent la forme d’un jeu créatif.

Aussi, ce n’est pas tordu, oserais-je dire, d’y voir un rapport intime avec le Body Art et l’actionnisme viennois.

Le corps du cinéaste, que l’on retrouve par exemple en saint Sébastien percé par des flèches dans Histoire de ma vie racontée par mes photographies, ou encore nu comme une carpe, en modèle vivant échappé d’un cours de dessin, dans Tentative de se décrire. Qui finit dans Homme portant, par se réduire à une image.

Ce corps, d’abord caressé, massé, ensuite noyé, brûlé, découpé, crucifié, en un mot martyrisé, donne à voir un sado-masochisme filmique, sur une façon de vivre indissociable d’une façon de tourner.

Je ferais donc l’hypothèse que les performances filmées de Boris révèlent, tout comme le montage, autre élément primordial de son cinéma, ce qu’il essaye de nous cacher.

« C’est comme si la pellicule devenait ma camisole de force, elle a été ma délivrance, disparaître dans la pellicule, je suis devenu un morceau de pellicule, je ne suis plus qu’un morceau de film. »

Oui c’est vrai. Comme dans une performance de Vito Acconci se battant contre son ombre ou se caressant le ventre avec un cafard, Boris, sur un air de Bach, enroule et habille littéralement son corps avec sa pellicule.

à son tour il devient sculpture, objet de cinéma et repousse les limites de la perception de son corps.

Corps simplifié, corps allégorique, émotionnellement important, qui ne nous permet pas d’oublier que les images viennent du coeur, que chaque plan est une expérience vivante, une expérience vitale. Qu’un cinéma qui participe à l’existence du corps du cinéaste en y investissant son destin personnel est une question de vie ou de mort.

La prise de risque est comme la prise de vue.

C’est le phénomène de la vie à travers la caméra.

Mes entretiens filmés réaffirme en quelque sorte que chaque apparition de Boris est une « action ». Son corps rejoint ceux des artistes « conceptuels chauds » tels Joseph Beuys, Michel Journiac, Vito Acconci déjà cité ou Gina Pane.

Corps métamorphosé, transmuté pourrait-on dire. Pour «entrer en cinéma» – dans un état second, un état de transe filmique en quelque sorte-, Boris infliges à son corps un sacrifice, une blessure.

C’est peut être ça, le devenir de l’homme filmique : un devenir masochiste entre la figure et le figurant.

Et c’est aussi la force de son action, il parvient à franchir le seuil du réel et tout se transforme, tout devient cinéma.

C’est sans doute cette action sur le corps que Boris nous montre.

Alors nous pouvons considérer que l’œuvre de l’acteur, c’est son corps et son maniement du presque rien, en image de bonheur.

L’inconnu de Mes entretiens filmés serait donc cela : un film performatif et militant dans sa forme frontale, simple, drôle et radicale.

Il est aussi dans l’esprit des ciné-tracts ponctués de cartons, de titres (images-textes) qui nous avertissent par exemple que la pellicule est à bout, mais aussi annoncent, nomment, classent, datent, numérotent, identifient, inventorient la somme des entretiens.

Alors j’ai l’espoir un peu fou que tout le monde la voit, cette somme.

J’espère qu’à chacune de ses visions vous ferez une nouvelle expérience, vous vivrez une nouvelle aventure humaine et découvrirez un cinéma du possible.

Un cinéma que vous croyez voir et qui n’est pas :

Autobiographique / Expérimental / Narcissique / Documentaire

Juste un cinéma modeste qui possède dans sa vision brute une force d’expression considérable.

Montrant l’humour inouï de la vie, quand elle est sans calcul, préservant sa liberté. Et c’est aussi parce que quelque chose d’intact du projet de cinéma initial de Boris Lehman a été préservé, qu’une nouvelle génération de ciné-vidéastes de notre temps en mutation peut percevoir dans Mes entretiens filmés et interpréter avec délices le primitivisme d’un cinéma à venir.

Voilà sûrement pourquoi dans Mes entretiens filmés le projet verbal de Boris Lehman ne communique pas. Il y a en lui quelque chose d’insignifiant (de l’insignifiant ?) exposant le langage de ses compagnons de route, dialoguant avec eux et résistant à la demande débordante de la communication.

Mais je suis certain qu’iI faudra un minimum de cinquante ans pour admettre ce film comme étant la dernière somme du cinéma sur pellicule qui ait su incorporer son désastre, pour nous livrer une force de création future.

Pour ma part, c’est déjà admis.

Mais nous serons combien à le voir, si plus aucun festival de cinéma ne veut du cinéma, mais seulement des films !

Voilà vous avez bien lu, je suis encore ivre par ce que je viens de voir.

Alors j’ai balbutié un texte qui est aussi un témoignage de mots préservant la vision brute de Mes entretiens filmés du cinéaste Boris Lehman.

D’ailleurs Jean Rouch le dit lui-même, dans l’un d’eux, en lançant une pierre à son chien : « Un tournage c’est comme quand on joue avec un chien, il faut jeter une chose qu’il aime et qu’il peut venir vous rendre. C’est ça le cinéma. »

Le petit chien de Jean Rouch, maintenant c’est moi, qui ai voulu rendre quelque chose d’émotionnellement important à ce film.

Pour qu’il y ait un retour, il fallait qu’il y ait un aller.

Mais comment s’y prendre après cet aller que tu nous as donné, Boris ?

Peut-être qu’en ayant osé écrire cette sensation immédiate, je m’aperçois que je venais de voir un MONUMENT DU CINÉMA À VENIR.

David Legrand

 

 

 

A MONUMENT OF THE CINEMA TO COME

(Fragments and babblings)

I’ve just seen the three chapters of Boris Lehman’s My Conversations on Film. At first I thought this work would be a cross between Jean-Luc Godard’s Histoire(s) du cinéma, André S. Labarthe’s Cinéastes de notre temps and Pierre-André Boutang’s L’Abécédaire de Gilles Deleuze. But no! This film comes to us at us in the here and now, point blank, to instate, through the filmic words of an out-dated filmmaker and those of his friends, both known and unknown, a reflection on the future powers of a cinema to come, like the emergence of an as yet unknown tradition. 

ART WITHOUT COMMERCE

AN IMPERFECT CINEMA

WITH NO SCRIPT

WITH NO HEAD OR TAIL

THAT IS NOT SELECTABLE BY ANY JURY

AND With plenty of OTHER THINGS connected IT with BEINGS.

Everything leads us here, into these necessary paradoxes of cinema. The thing we thought we knew inside-out will now show us its unfamiliar aspects. For example, it is clear that My Conversations on Film has a hell of a cast of critics and filmmakers, friends of the director whom he asks to talk about his films. But what is less obvious is that between yours and mine (the space between us) a film production is being staged, a mise en scène is created by seeking out an initial contact: an encounter with friendly dialogue. This is what connects people, BEING together.

Unlike all other interviews with filmmakers, here conversing as well as answering and chatting is a cinematic task, of staging, showing that the gap between the self and the other is mythic — neither documentary nor autobiography, but simply mythic.

This collection of images and words thereby creates a self-portrait-cinema of surprise between oneself and others. From this space emerges the filmmaker’s own performances, his surprise actions. This is another element that is common throughout Boris Lehman’s cinema and yet remains unknown in the history of performance. But in My Conversations on Film we cannot miss, deny or hide these actions, or pretend they are only interludes. They are contact points, in or out points between the film and the viewers’ experience, even when they take the form of a playful game.

Also, it would not be farfetched if I venture to see in the film an intimate relationship with body art and Viennese Activism. The filmmaker’s body, seen for example as St. Sebastian pierced by arrows in Story of My Life as Told by My Photographs, or naked as a carp in a live model drawing class in Trying to Describe Oneself which ends up being reduced to an image in Man Carrying. This body is first caressed, massaged, then drowned, burned, cut, crucified — in a word, martyred — showing us a filmic sadomasochism, a way of life inseparable from a way of filming. I would posit that Boris’ filmed performances — like his editing, another key element of his filmmaking — show us precisely what he is trying to hide from us.

"It's as if the film became my straitjacket, it was my salvation, to disappear into film material. I became a piece of celluloïd. I'm nothing more than a piece of film."

Yes, this rings true. Like in a Vito Acconci performance, fighting against his own shadow or caressing his belly with a cockroach, Boris, to the tune of Bach, literally wraps and dresses his body in his film. Boris then becomes a sculpture, a filmic object himself, and widens the perceptual limits of his body. 

This streamlined, allegorical and emotionally significant body forcibly reminds us that images come from the heart; that each shot is a living experience, a vital experience; that a cinema which participates in the very existence of the filmmaker’s physical body, by devoting his personal destiny to it, is a matter of life or death. Taking risks is like taking shots. This is the phenomenon of life as seen through the camera.

My Conversations on Film reaffirms somehow that every one of Boris’ appearances is itself an “action.” His body has joined those of conceptual artists Joseph Beuys, Michel Journiac, Vito Acconci, and Gina Pane. The body is transformed, even transmuted: to enter a “cinematic state” — a new state of being, a kind of filmic trance — Boris inflicts on his body a sacrifice, an injury. Maybe this is the future of the filmic man: a masochistic relationship between the work and the viewer. And the power of Lehman’s action is that he manages to cross the threshold of reality and everything changes, everything becomes cinema. Boris undoubtedly shows us this action upon the body: therefore, we can consider that an actor’s work is the manipulation of his body and his handling of mere nothingness, a picture of happiness.

This would be the unknown element within My Conversations on Film: a performative and militant film in its funny and radically stark frontality. It follows in the footsteps of the Cinetracts punctuated by title cards (text images) warning us for example that the film is running out, but that also announce, name, classify, date, number, identify and create an inventory of the totality of the interviews.

So I harbor a crazy hope that everyone may see this totality. I hope that each viewing will bring you a new experience, that you will undergo a new human adventure and discover a cinema of the all-possible. 

A film you think you are seeing and that is not:

Autobiographical / Experimental / Narcissistic / Documentary

Just a modest movie that contains in its raw vision a considerable expressiveness.

It demonstrates the amazing humor life holds when not calculated, when remaining resolutely free. And also, because something of Boris Lehman’s initial film project remained intact and preserved, a new generation of contemporary film- and video-makers in transformation can perceive within My Conversations on Film the delightful primitivism of the cinema to come.

This is surely why in My Conversations on Film, Boris Lehman’s verbal project does not communicate: something insignificant (or signifying nothing?) exposes the language of his companions, interacts with them and resists the overwhelming demand for communication.

But I’m sure it will take at least 50 years before we admit this film as the great summing up of film about film, able to incorporate its own disaster, delivering strength for future creation. For my part, it has been admitted.

But how many of us will ever see this, if film festivals no longer want cinema, but only films?

Here you can see how intoxicated I still am from what I have just seen. So I have scrawled out a text that, in its stammering, acts as a written testament preserving the raw vision of Boris Lehman’s My Conversations on Film.

Jean Rouch even says it himself in one of them, while throwing his dog a stone: “Shooting a film is like playing with a dog — you have to throw him something he likes for him to come running back to you with it. That’s cinema.” I am now Jean Rouch’s little dog; I wanted to give something emotionally significant back to this film.

In order to return from a place, you have to get there first. But how to get back from this place you have brought us, Boris? Maybe by having dared to write down my immediate sensations, I realize that I have just seen a MONUMENT OF THE CINEMA TO COME.

David Legrand

 =+=

 

 

Que pèse tout le savoir du monde, que pèse la fière maturité des pensées humaines, en face des accents spontanés de cet esprit qui ne savait ni ce qu’il savait, ni ce qu’il était ?

Hölderlin, Hypérion

Boris Lehman est-il un « cinéaste hors de notre temps » comme lui-même semble le suggérer malicieusement dans le générique de ses entretiens filmés commencés en 1995 et qui nous parviennent seulement aujourd’hui, dix-huit ans plus tard ? Dix-huit ans après qu’il eut devant sa propre caméra déclaré son désir d’arrêter. Mais au fait, d’arrêter quoi exactement ? De faire des films ? Il y a bien longtemps – il le reconnaît lui-même – qu’il a cessé de faire des films… mais qu’il continue plus obstinément que jamais à filmer. La contradiction n’est qu’apparente et quelques cinéastes parmi ceux dont l’art est aujourd’hui le plus vivant de Jonas Mekas à Jean-Luc Godard pourraient la revendiquer tout aussi bien. Ce temps dans lequel Boris Lehman ne souhaite pas se situer est le temps du spectacle, de l’artifice et du faux, du prétendu « tout visible » qui ordonne et organise toute une industrie du divertissement. Son univers c’est – au contraire – la vie, la sienne d’abord mais aussi celle de ses amis, de tous ceux qu’il rencontre avec sa caméra, grâce à elle. Il ne faudrait pas croire pour autant qu’il pratique le cinéma comme on respire. Que son cinéma respire la vie est une toute autre affaire ! Comme il le dit justement : je fais un cinéma d’imagination mais avec un appareil de prises de vues objectif ».

Derrière la formule facile se dissimule une bonne part de l’entreprise cinématographique que Boris Lehman poursuit opiniâtrement depuis qu’il a commencé à filmer. L’imagination, il ne la revendique pas seulement pour lui qui fait les films mais tout autant pour les spectateurs qu’il imagine et à qui il appartient – plus encore que dans d’autres films – de parachever le travail du cinéaste. S’il capte des moments de vie pour en conserver la trace sous forme d’images, c’est à ses spectateurs de s’emparer de ses images, de se les approprier, d’en faire un film, leur film : pas de lecture imposée, pas de scénario qui soit écrit à l’avance. Le film se trouve, c’est lui qui commande, qui s’impose à celui qui le fait. Pour autant, chaque film, chaque séquence même se doit d’être arrachée au flux de la vie, au quotidien, au temps qui passe. Boris Lehman filme « pour voir », pas tant pour conserver des traces que pour les constituer, les fabriquer. L’acte de filmer est tout sauf un acte neutre : c’est un rituel qui en appelle à la magie, un pari qui n’est jamais gagné. Comme chez Rouch. C’est sans doute pour cela que la pellicule lui est aussi importante. Le cinéma que l’on dit documentaire, celui qu’inventèrent les frères Lumière et qui fascina les avant – gardes des années vingt n’est pas seulement saisie objective, machinale, du réel mais tout autant la trace, l’histoire d’une rencontre entre le filmeur et ce qu’il filme.

Ce que la vidéo a apporté en souplesse se paye coûtant : on a rien sans rien. L’attachement à la pellicule – cela semble évident chez un cinéaste comme Boris Lehman – doit se voir avant tout comme un attachement à une difficulté qui seule peut donner du prix à ce qui est filmé. Le cinéma n’est fort que lorsqu’il se met en danger, accepte le hasard, se confronte à ce qu’il y a de plus fragile. Une fleur qui éclôt en temps réel devant l’objectif est – ce une leçon de vie ou une leçon de cinéma ? Ici, bien sur, les deux se confondent et ce plan tout à la fois simple et miraculeux fait écho à la ciné – transe de Jean Rouch (« Les tambours d’avant / Tourou et Bitti ») : force du cinéma, fragilité de la vie. Qui voudrait dissocier les deux, les opposer, restera insensible à ce cinéma. Ce qui fait la force de tels plans n’est pas tant l’image qu’ils nous donnent à voir que le miracle que cette image puisse exister. N’est – ce pas pour cela que le cinéma est né ? Pour montrer ce qui échappait à notre regard, ce à quoi nous ne prêtons pas assez attention dans « la vraie vie ».

« Pour voir, il faut d’abord fermer les yeux, oublier, perdre la mémoire » confie Boris Lehman à son ami Patrick Leboutte reprenant – sur le mode de la variation – ce qu’il disait dans le préambule de ses entretiens filmés (« on va parler de cinéma ») tout en jetant quelques livres (majeurs) de cinéma comme on se délesterait de bagages trop encombrants avant d’entreprendre un voyage au long cours. Dans ce geste qui crée une situation burlesque, il ne s’agit nullement d’irrespect (ces livres sont les siens, il les a lu et relus) mais d’un besoin quasiment vital de ne pas s’encombrer de théories préalables, de modèles écrasants afin d’accepter le risque du film, le risque de la rencontre et même celui de l’échec.

Ce cinéma est une pratique pour laquelle on ne saurait souscrire d’assurance, un exercice qui préfère les vertus de l’attente aux garanties de la préparation. Pour autant c’est un cinéma où la mise en scène est omniprésente, non pas comme quelque chose qui viendrait après le scénario pour le « mettre en forme » mais, à l’opposé, comme ce qui peut permettre à « un scénario » de s’inventer, d’éclore devant la caméra : un petit déjeuner chez une amie filmé par Boris Lehman devient immédiatement un petit déjeuner de cinéma, un rituel qui se réinvente devant la caméra et pour elle.

Il n’y a sans doute pas une séquence, pas un plan de ces entretiens filmés dans lesquels la caméra, l’équipe (même réduite au minimum) « se fasse oublier » comme si le cinéaste voulait signifier par là qu’on ne filme pas impunément, comme si de rien n’était. Ces plans – même si la relation avec les personnes filmées est chaleureuse et amicale – sont le produit d’une lutte, comme si l’artiste devait à chaque moment arracher son œuvre à la matière, filmer envers et contre tout, à tout prix.

C’est toujours une relation que filme Boris Lehman et ses entretiens filmés sont en permanence sous – tendus par une attente parfois teintée d’angoisse : « J’attends qu’on me pose de vraies questions ». On peut donc légitimement y voir une tentative – un désir même – du cinéaste de se risquer au regard des autres comme s’il attendait d’eux qu’ils lui disent – enfin – ce qu’est son cinéma, ce qu’il représente pour eux, ce qu’il vaut à leurs yeux. Cette question que se posent quelques cinéastes, Boris Lehman la pose, lui, ouvertement et pour qui connaît l’imbrication (le mot est sans doute faible) de sa vie et de ses films, la tension qui en résulte est particulièrement violente.

Chronologiquement, Mes entretiens filmés est le dernier des films réalisés par Boris Lehman. Cette précision, toutefois, est de peu d’importance. Si le film a bien été terminé en ce début d’année 2013, il est en chantier depuis le printemps 1995 et rassemble des entretiens filmés durant une quinzaine d’années. Ce dernier film ne succède pas tant au précédent qu’il les accompagne, les complète, travaillant les mêmes questions en changeant d’axe, en revenant sur ses pas, en inversant les rôles. Qu’il filme les autres ou qu’il se filme lui – même, Boris Lehman ne cesse de se chercher, de tenter de se construire une identité. S’il qualifie son cinéma d’a-historique (« Entre l’individu et le cosmos il n’y a rien ») celui – ci n’en est pas moins fortement traversé par l’histoire, construit sur ses ruines, de Babel à Waterloo, habité par ses catastrophes. Comme le remarque Dominique Païni ses films naissent comme des grands champs de ruines.

De film en film, il s’est construit un personnage singulier, tantôt burlesque, tantôt grave, souvent proche du tragique dans les situations les plus cocasses qu’il imagine et pour lesquelles il n’hésite pas à payer de sa personne. Son cinéma est indissociable de la présence de ce double, de cette doublure qu’il s’est offert et que nous prenons pour lui. Ce corps filmé, offert au film et aux spectateurs, est un corps qui lutte qui se cogne, s’empêtre, un corps qui peine à trouver sa place dans un monde qu’il lui appartient pourtant d’habiter. Le cinéma de Boris Lehman est un cinéma physique, un cinéma qui ne cesse de se heurter aux lois de la gravité : « J’essaie de nier la technique, la distance qu’elle introduit. » En dépit de son indéniable aspect artisanal ce cinéma est « une machine lourde », encombrante. Sa pratique relève d’une discipline à laquelle le cinéaste s’astreint volontairement mais non sans peine et sans souffrances. Boris Lehman porte son cinéma comme on porte sa croix, avec douleur et passion. Comme Keaton son aîné, il est partout : derrière la caméra (parfois) à l’écran (souvent) et dans la cabine de projection (lorsqu’il y en a une) composant ainsi une figure burlesque, un « Sherlock senior », lointain cousin des personnages de Beckett pas près de nous livrer sa dernière bande. Ici, pas de rédemption, encore moins de résurrection. Filmer c’est simplement survivre, apprendre à voir, tenter de cerner qui on est. Les entretiens filmés ne sont pas un autoportrait mais plutôt l’aveu par le cinéaste de son incapacité à brosser son propre portrait, de son besoin de se tourner vers les autres pour se trouver lui – même, pour enfin se reconnaître, savoir qui il est. Contrairement aux apparences auxquelles se laisserait prendre un regard superficiel, le cinéma de Boris Lehman n’est pas fermé sur lui – même, resserré sur son auteur. Il se construit à l’inverse, dans un perpétuel mouvement de travellings, de zooms avant, comme s’il fallait impérativement faire le tour de tout, filmer tout et le reste, surtout le reste, pour se découvrir soi. La structure que va prendre film, l’histoire, ne se découvre qu’après le tournage, souvent bien après. Le travail du montage pour discret qu’il puisse apparaître est ici primordial. Sans ce montage il n’y aurait pas de film. Le temps y est reconstruit, ordonné, les séquences tournées sur une quinzaine d’années s’agencent, jouent d’être rapprochées, créent un sens nouveau lorsqu’elles trouvent leur place dans le film en même temps qu’elles lui donnent naissance. La création n’est pas une opération magique mais un travail mystérieux : « C’est le film qui décide ».

Jamais, sans doute, tout au long de ces entretiens filmés on aura mieux parlé du cinéma de Boris Lehman que dans ses ultimes séquences lumineuses où il rassemble au montage quelques unes de ses amies enceintes. Ce qui auparavant peinait à s’exprimer soudain éclate, la métaphore aidant : « On ne sait pas ce qui provoque la naissance, la mère ou l’enfant ».

Boris Lehman porte ses films comme ces mères portent leur enfant qui va naître et dont elles savent si peu de choses. Il faut « trouver un prénom et essayer de faire un enfant qui lui ressemble » comme d’un film qui se chercherait bien qu’il ait déjà un titre.

En quelques échanges empreints de timidité devant le mystère de la naissance se disent humblement les mots qui qualifient le mieux la pratique cinématographique de Boris Lehman qui – par antiphrase – confesse combien ses films se détachent difficilement de lui.

De la forme de ce film, si singulier, il faudrait savoir parler comme Julien Gracq le fait de la forme d’une ville (Nantes) ou du cours d’un fleuve (La Loire). Si ces entretiens filmés peuvent, justement, apparaître comme un « film fleuve » ce n’est pas tant en raison de leur durée (six heures trente de projection) que du cours qu’ils suivent : un cours sauvage, au débit irrégulier, jalonné d’accidents, de rencontres comme d’autant de rivières qui viendraient le grossir. Le film déroule son cours comme le fleuve creuse son lit, chaque rencontre le modifie, l’alimente comme de multiples affluents, lui fabrique une boucle qui le ralentit et en même temps le relance.

Pour paraphraser (encore) Julien Gracq, nous pourrions faire dire à Boris Lehman : « Ce film qui, d’entrée, proclamait son désir de parler de cinéma parle en fait de la présence en moi du cinéma. »

Gérald Collas

 

 

What weighs the world’s knowledge, what weighs the maturity of human thought, in face of these spontaneous accents of the spirit, whom do not know that which they know, nor that which they are?

Hölderlin, Hyperion

Is Boris Lehman a “filmmaker beyond our time” as he himself seems to suggest mischievously in the credits of My Conversations on Film, started in 1995 but which is reaching us only now, eighteen years later? Eighteen years after he declared before his very own camera his desire to stop. But to stop what, in fact? Filmmaking? He already stopped filmmaking long ago ­— as he himself admits — and yet he continues more obstinately than ever to shoot film.  It may seem like a contradiction, but there are other filmmakers whose art is more alive today, from Jonas Mekas to Jean-Luc Godard, who could claim the same. This temporality in which Boris Lehman chooses not to position himself is one of the spectacle, of artifice and pretense, the supposedly “all visible”, which orders and organizes an entire entertainment industry. Lehman’s world is, by contrast, his life ­— his own first, but also that of his friends, of everyone he meets through the lens of his camera. This is not to say that we should assume Lehman creates cinema as others breathe, but that he breathes life into his films is another matter entirely! As he acutely states: “I create a cinema of imagination, but with an objective camera.”

Behind this simple formula hides much of the cinematographic principles that Boris Lehman has stubbornly pursued since he began filming. Lehman does not claim that imagination is only for the filmmaker, but also for the audience he imagines and whose task it is — even more so than for other films — to complete his work. If he captures moments of his life to keep track of them in the form of images, it’s up to his audience to seize and appropriate them, to make a movie, their own movie: no interpretation is imposed and no script is written in advance. The film finds itself and makes itself, takes the lead, imposes itself on its maker. However, each film, each sequence, must be torn from the flow of everyday life, from the passing of time. Boris Lehman films “to see”, not just to keep track of events, but to create them. The act of filming is anything but neutral: it is a ritual which calls for magic, a bet that is never won, as it is for Rouch. This is undoubtedly why celluloid film is so important to him. The cinema we call documentary, invented by the Lumière brothers and which fascinated the avant-garde filmmakers of the twenties, is not only an objective, mechanical capturing of reality, but a trace of itself, the history of an encounter, between the filmmaker and that which he films.

Video’s flexibility comes at a price: no one gets something for nothing. The attachment to celluloid — it seems obvious for a filmmaker like Boris Lehman — must be seen first and foremost as an attachment to a situation whose difficulty alone brings value to that which is filmed. Cinema is only strong when it takes risks, when it accepts chance, when it confronts itself with that which is most fragile. Is a flower blooming in real time before the lens a life lesson or a lesson in cinema? Here of course the two are merged in this simultaneously simple and miraculous shot echoing Jean Rouch’s cine-trance (Les Tambours d’avant/Tourou et Bitti). The power of cinema, the fragility of life: whosoever would separate the two or oppose them would remain unaffected by this kind of filmmaking. What gives such shots their strength is not so much what they show us but the miracle that they could exist at all. Isn’t this why cinema was born: to show that which has escaped our vision, to which we do not pay enough attention in “real life”?

“To see, you must first close your eyes, forget, lose your memory,” confides Boris Lehman to his friend Patrick Leboutte, restating a variation of his preamble from My Conversations on Film (“Let’s talk about cinema”) where he pitches away a number of (important) books about cinema as one would get rid of a few bulky bags before starting a long journey. This motion, which creates a burlesque situation, is in no way a gesture of disrespect (these are his own books, he has read and re-read them), but rather stems from an almost essential need to not be weighed down by prior theories, by crushing models, allowing him to accept the film’s risks, the risk of encounters, and even of failure.

This kind of cinema is a practice which cannot be insured, an exercise that prefers the virtues of waiting to the guarantees of preparation. And yet, it is a cinema in which the mise-en-scène is omnipresent, not as something that comes after the screenplay to embellish it but, rather the opposite, allowing a “scenario” to be invented, to hatch in front of the camera: breakfast with a friend filmed by Boris Lehman immediately becomes a cinematic breakfast, a ritual to be reinvented before and for the camera.

There is not one sequence or shot of these filmed conversations in which the camera or the crew (as minimal as it may be) are “made invisible,” as if the filmmaker wanted to highlight the fact that you cannot film with impunity, as if nothing out of the ordinary is happening. These shots, even if the relationship with those filmed is warm and friendly, are the product of a struggle, as if the artist was, at every moment, wrestling the work out of his material, shooting against all odds and at all costs. Boris Lehman always films relationships, and his filmed conversations are constantly strained by expectations tinged with anxiety: “I’m waiting to get asked some real questions.” This can legitimately then be seen as an attempt — a desire even — by the filmmaker to take a risk in relation to others, as if waiting for them to finally tell him what his cinema is, what it represents to them, what it is worth in their eyes. Though this question concerns many filmmakers, Boris Lehman raises it openly, and for those who know how much his life and films are intertwined (the word is probably too weak), the resulting tension is particularly violent.

Chronologically, My Conversations on Film is Boris Lehman’s last film. This detail, however, is of little importance. Even if the film was completed at the beginning of 2013, it has been under construction since the spring of 1995 and includes interviews filmed throughout a 15-year period. This last film does not follow the preceding films as much as accompany them, complete them, reworking the same questions but changing their thrust, backtracking and reversing the roles. Whether he is filming himself or others, Boris Lehman never stops trying to find himself and construct his identity. He qualifies his cinema as a-historical (“between the individual and the cosmos there is nothing”) but it is nevertheless crisscrossed by history, built on the ruins from Babel to Waterloo, inhabited by its disasters. As Dominique Païni notes, his films are born like wide fields of ruins.

From film to film, he has built a singular character, sometimes funny, sometimes serious, often close to tragic in the most comical situations he imagines, and for which he unhesitatingly puts his body on the line. His cinema is inseparable from the presence of this body double, this stand-in he has gifted himself and that we mistake for him. This filmed body, offered to the film and to the audience, is a body which fights, which gets hit, entangles itself, a body which struggles to find its place in a world in which it nevertheless has the right to live. Boris Lehman’s cinema is a physical one, a cinema which never stops colliding against the laws of gravity: “I try to deny technique, and the distance it introduces.” In spite of the undeniable artistic aspect of his cinema, Boris is encumbered by “heavy machinery.” Its practice is part of a discipline in which the filmmaker is deliberately constrained, but not without pain and suffering. Boris Lehman carries his cinema as one would carry a cross, with pain and with passion. Like Keaton, his elder, he is everywhere: behind the camera (sometimes), on the screen (often) and in the projection booth (if there is one) making up a ludicrous figure, a “Sherlock senior,” a distant cousin of Beckett’s character not about to give us his last film. Here there is no redemption, even less resurrection. Filming is simply surviving, learning to see, trying to define oneself. My Conversations on Film is not a self-portrait, but rather an admission of the filmmaker’s inability to paint his own portrait, his need to turn to others in order to find himself. Contrary to appearances, which a superficial gaze might procure, the films of Boris Lehman are not closed in on themselves, focused on its author. They build themselves inside out, in a perpetual motion of tracking shots and zoom-ins, as if it were necessary to see all sides of everything, film everything and what’s left, especially what’s left, in order to discover oneself. The structure the film will eventually take, the story, will be discovered long after filming is over. The editing work, however discreet it may seem, is of prime importance. Without this editing, there would be no film. There, time is reconstructed, ordered; sequences filmed over a 15-year period fit together, benefit from their new alignment, create new meanings as they find their place in the film, while simultaneously giving birth to the latter. Creation is not a magical operation, but a work of mystery: “The film will decide.”

Never throughout these filmed interviews would Boris Lehman’s cinema be better discussed than in its final illuminated sequences where he edits together a montage sequence of some of his pregnant friends. What once was difficult to express suddenly bursts forth, helped by the metaphor: “We do not know if the birth is caused by the mother or the child.”

Boris Lehman carries his films like these mothers carry their future children, knowing so little about them. We must “find a name and try and make a child who fits it,” like a film that would go soul-searching, though it already has a title. In a few exchanges, instilled with the shyness and timidity before the mystery of birth, they humbly utter the words that best describe the principles of Lehman’s filmmaking, which, ironically, confess how difficult it is to detach his films from himself.

To speak of the form of this singular film, one should refer, like Julien Gracq, to the form of a city (Nantes) or the course of a river (La Loire). These filmed conversations flow by like a stream, but this is not due so much to their length (six and a half hours of screening time) as to the path they take: a wild course at irregular speeds, fraught with accidents, and encounters as with so many other rivers, making it wider. The film runs its course as a river carves its bed, each meeting changing it, feeding it, as would multiple tributaries, looping itself, thereby slowing it down yet reviving it at the same time.

To (again) paraphrase Julien Gracq, we could put the following words in Boris Lehman’s mouth: “This film, which from the outset proclaims its desire to speak of cinema, speaks instead of the presence of cinema in me.”

Gérald Collas