Couple, Regards, Positions (le mariage de l’eau avec le feu)




16 mm noir et blanc 60 minutes 1982

réalisation et production: Boris Lehman
scénario: Nadine Wandel et Boris Lehman
interpréation: Nadine Wandel et Boris Lehman
son: Henri Morelle
montage: Eva Houdova
mixage: Gérard Lamps
musique: Georg Friedrich Händel
avec l’aide du centre bruxellois de l’audiovisuel

festival: Rotterdam, Porto


UN FILM DE BORIS LEHMAN ET NADINE WANDEL

Miroir a double face
L'eau et le feu. L'eau éteint le feu et le feu fait bouillir l'eau, la fait s'évaporer. Ils ont quelques difficultés à s'entendre. Ils ne peuvent se marier sans que l'un des deux disparaisse, et pourtant ils sont attirés inexorablement l'un vers l'autre, ils ont besoin l'un de l'autre pour exister.
Couple/ Regards /Positions (le mariage de l'eau avec le feu) se veut un essai de cinéma alchimique.
Deux personnages—un homme et une femme—jouent a se regarder, à se confronter, à s'agresser, jusqu'à se mutiler, pour tenter de communiquer, de s'unir. Chaque regard, chaque position, chacune de leur action, est rituelle et symbolique.
Il n'y a pas de décor. Uniquement des objets et des formes géométriques—cercle, carré, triangle— suspendus en l'air et posés sur le sol. Métaphorique, abstrait et pictural, c'est un film sur le noir et le blanc (en noir et blanc), sur le vide et le plein (sonore et silencieux), sur l'impossible réunion des contraires, du plus ou du moins, du chaud et du froid, du haut et du bas, de l'ombre et de la lumière. De l'eau et du feu.
Conçu tel un collage, le film prend tout son sens, comme dans les rêves, dans les associations et les analogies des éléments qu'il a mis en jeu.
Par-delà la magie des images,le sado-masochisme de certaines scènes, l'ésotérisme du propos, Couple/Regards/Positions (le mariage de l'eau avec le feu) est un film de solitude, de souffrance et d'amour.

Boris Lehman



Je me demande si ce film a jamais été rien d'autre qu'un jeu? Nous avions instauré entre nous des échanges gestuels basés sur un rapport de force. J'avais l'impression étrange d'un combat permanent avec la caméra. Elle était devenue matière vivante, animale et c'était à qui arriverait à hypnotiser l'autre. Est-ce que je jouais ou est-ce que je ne jouais pas ?
Je suis incapable de répondre à cette question, même aujourd'hui. Je n'arrive pas a me reconnaître dans le film. C'est une image incroyable, idéale de moi, de la femme que je suis, que je voudrais être, que je ne suis pas.

Nadine Wandel



Dans Couple/Regards/Positions, Boris Lehman et Nadine Wandel mettent en scène leur amour au moyen de l'opposition du noir et blanc, du triangle et du globe, des deux triangles qui composent l'étoile de David, d'un doigt et d'une oreille, d'une bouche qui parle et d'une main qui écrit, des symboles alchimistes de l'eau et du feu. Les positions miment leur relation tour à tour de séduction, de complémentarité, d'attirance, d'évitement, de domination ou d'indifférence. Le couple ici, c'est toujours l'opposition de deux contraires qui n'arrivent jamais à faire un. Le gros plan fait sortir l'essence contradictoire, irréductible de l'autre quelles que soient les variations proposées pour exprimer la relation amoureuse. Simultanément chacun n'existe que comme fragment de l'association. Ça va toujours deux par deux, non d'un seul élan : la conjonction ne cesse ici d'opérer des disjonctions en cascade. Boris Lehman ne cache pas son inspiration formaliste, mallarméenne. C'est ce qui lui permet aujourd'hui de revenir sur les lois de composition et de montage du cinéma muet, du Chien Andalou notamment, et aussi de Man Ray.

Yvan Lardeau (Cahiers du Cinéma/ juin 83)



COUPLE SINGULIER, REGARDS PLURIELS

À l'écran, Boris Lehman et Nadine Hannah Wandel.. Derrière la camera, les mêmes. Dans la vie, les mêmes encore. Je les connais. Je les reconnais. Leur film, ce film qui leur appartient tant, ce film auquel ils appartiennent tant, je le vois avant tout comme une exposition d'une incroyable impudeur. Et une fois de plus fonctionne le piège de la triomphante fragilité par laquelle plus d'une fois j'ai été désarmé. Mais cela ne regarde que moi.

À l'écran, un couple maquillé qui tend vers l'unicité en déployant à toute force les spécificités inconciliables. Un film d'amour présentant une femme belle et un homme charismatique. Le film d'un amour. Impossible. Conditionnel et absolu. Souffrant.
À l'écran, Couple/Regards/Positions et dans la salle un spectateur qui se raccroche à l'idée que ce « mariage de l'eau et du feu » est un premier « essai de cinéma alchimique »). Il en décrypte de ci, de là, quelqu'élément qu'il n'ose s'approprier. Il s'apaise en découvrant à l'intérieur de ces images aussi intimes que le rêve d'autrui, d'autres voyeurs que dissimulent des persiennes.
À l'écran, un projecteur. Le cinéma est dans la salle. Et le critique d'identifier l'influence expressionniste. Il s'émerveille devant la redécouverte des mots suggérés aussi évidents désormais et mystérieux que des cercles, des triangles et des carrés. « Expressionniste » par ce que cela exprime. « Expérimental » parce qu'il s'agit du fruit de l'expérience.
À l'écran, une phrase muette que l'on entend, une goutte de sang rouge dans le noir et blanc du film. « Pas toucher, on est des images ». Interdiction/Invitation. Après le jeu sur le regard et sur le son, voici, Mesdames et Messieurs, la véritable magie d'un film que l'on touche des doigts, qui vous mord la joue, vous arrache les cils, vous perfore la peau, vous tire la langue. Avez-vous déjà épluché une pomme avec vos ongles ?
À l'écran, un film perceptionniste.

Philippe Reynaert (Visions)



UN FLAMBOYANT VOYAGE DANS LES PROFONDEURS DE NOTRE INCONSCIENT

Couple/Regards/Positions se cherche entre la fiction et une forme épurée de documentaire. Boris Lehman est un cinéaste trop lucide pour refuser ce que précisément la lucidité est à même de sauver. Mais c’est justement là l'occasion ou jamais de trouver le secret de cet art de la lucidité, grâce auquel Magnum Begynasium Bruxellense ou Symphonie ne sont pas indignes du Camion ou de Passion. Cette fameuse lucidité, plus que chez Marguerite Duras, Jean-Luc Godard ou Jean-Marie Straub, c'est chez Boris Lehman qu'il faut la découvrir. Elle est là dans cette éblouissante reproduction de la symbolique juive qui remonte aux temps les plus profonds de la tradition. Elle est là dans ces gros-plans de Boris et de Nadine cadrés comme dans un film de Murnau.Elle est là avec ce noir et ce blanc auquel on a tamisé le gris. Elle est là dans cette hiératisation hiérarchique, qui évite à tout bout de champ de s'enfoncer dans le pompier. Elle est là dans ces audacieux déplacements des corps noyés dans le noir de l'écran".

Gérard Courant


Projeté à la Semaine des Cahiers du cinéma à Paris et dans les Cinémathèques de Bruxelles, Lausanne, Berlin, Monl au Grierson Seminar (Niagara on the Lake), à l'inter european jewish festival (Davoz), à l'Université de Genève...
Sélectionné dans les festivals suivants: Rotterdam, Berlin, Porto, Middelkerque, Montréal, Paris, New York, Bruxelles, Lodz
Projeté à la Cinémathèque Française (Centre Beaubourg), au studio 43 à Paris, au Musée d’Art Moderne de New York